Les images trouvées sur Internet et dans les magazines forment l’essentiel de la revue ToiletPaper : une « réunion semestrielle salace » (sic). Cette publication, composée exclusivement de photomontages conçus à partir de visuels génériques ou issus de la publicité, reconstruits tels des cadavres exquis et mis en scène avec des couleurs saturées, a acquis un succès sans pareil depuis 2010 auprès des milieux de la mode, du design et de la culture. Cet été, Maurizio Cattelan et Pierpaolo Ferrari, artiste et photographe de ce fanzine désormais grand public, exposent l’imagerie proprement délirante de ToiletPaper Magazine à Arles (au Parc des ateliers) et à Paris (à la Galerie des Galeries et dans les vitrines des Galeries Lafayette, du 6 juillet au 10 septembre). À défaut d’une coïncidence, c’est toute la tendance à la relecture en photographie, dont ToiletPaper Magazine se réclame, qui s’installe aux Rencontres d’Arles grâce à Sam Stourdzé, leur directeur.
Celui-ci a disséminé dans son parcours des signes situés à l’avant-garde de cette pratique chère aux artistes postmodernes depuis le pop art jusqu’à la Pictures Generation des eighties (Sherrie Levine, Richard Prince…), en passant par la photographie plasticienne inscrite dans le sillage des cubistes, de dada, Duchamp et des surréalistes. À Arles, l’Atelier des forges expose, entre autres, le Belge Marcel Broodthaers (1924-1976) et le Français Éric Baudelaire (né en 1973) pour « une lecture sensible sur les réveils de l’image ». Des « citations, emprunts et réusages » d’artistes choisis par les curatrices Julie Jones et Agnès Geoffray. Plus loin, dans le fond comme dans la forme, « Systematically Open ? » invite quatre artistes à prendre la casquette de commissaire sur le chantier de la Fondation LUMA, à l’Atelier de la mécanique, un nouveau lieu agrandi et rénové par Selldorf Architects au Parc des ateliers et ce, dans une architecture éphémère réalisée pour l’occasion par Philippe Rahm. C’est dans cette scénographie volontairement « provocatrice » que se télescopent les travaux graphiques de Walead Beshty et Elad Lassry, connus pour revisiter le procédé chimique de la photo et l’esthétique des images commerciales, et le genre queer, mélangé par définition, de Zanele Muholi et Collier Schorr.
Au bonheur des hasards
À la commanderie Sainte-Luce, l’exposition « Nicephora », d’Alinka Echeverría, répond à une même réflexion englobant le contexte de production et le lieu d’exposition, la représentation de la culture, et la diversité des pratiques des photographes qui aiment aujourd’hui relire les icônes du passé et celles du présent. Native de Mexico, Alinka Echeverría est la lauréate 2015 de la résidence BMW au musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône. Elle s’y est inspirée du travail de l’inventeur de la photographie (« fixer des images et les reproduire à l’infini ») ; de l’imagerie coloniale de la femme telle qu’observée dans les archives ; et de la céramique. Le résultat ? Une série de vases affichant des photographies de parties corporelles de figures du XXIe siècle telle Serena Williams. Un projet analogue à son précédent corpus, « The Road to Tepeyac » (2011), où 125 pèlerins mexicains portent sur le dos des peintures de l’apparition de la Vierge de Guadalupe, et aussi hybride que les croisements de tirages vintage et de portraits d’animaux des lauréats de cette même résidence, en 2013, Mazaccio & Drowilal.
« L’avènement du numérique a renforcé le mouvement de récupération des images collectives, c’est l’équivalent de la Renaissance », affirme Erik Kessels, artiste, éditeur et commissaire d’exposition néerlandais. À Arles, ses « Parfaites imperfections », à la fois exposition et livre, soutiennent la nécessité d’une « photographie vernaculaire » (utilitaire et amateur, NDLR). « Tout le monde est aujourd’hui son propre éditeur, explique-t-il. La photo a réussi son pari démocratique en devenant un outil du quotidien. On capture, on remanie et on partage sans cesse ce que l’on voit. La photo vernaculaire permet aux artistes de défier les stéréotypes. » Exemples avec les artistes Kent Rogowski – « qui mixe des puzzles de fleurs et de chevaux pour créer des collages instantanés » – et Ruth Van Beek – « qui plie des photos de chiots pour imaginer de nouveaux types d’animaux ». Parmi eux, Thomas Mailaender est aussi à l’initiative d’« Hara Kiri Photo », à la Grande Halle, une expo hommage à ce journal, pionnier par ses photos originales retouchées (à l’aérographe et à la gouache) et son merchandising (cartes postales, affiches promotionnelles) et ce, avant l’invention du « papier toilette ».