Ce qui saute d’emblée aux yeux dans le travail de Luis Laplace, c’est l’importance que ce dernier octroie à l’art, une passion née de son intérêt pour la Sécession viennoise, pour la peinture de Sonia Delaunay, pour la sculpture contemporaine et la photo. « Mon premier achat fut un livre de Robert Mapplethorpe où figurait un portrait de Louise Bourgeois, raconte-t-il. S’il est relativement facile d’acheter une œuvre d’art pour soi, cela l’est moins quand il s’agit d’en acquérir une pour un chantier privé. C’est une démarche très instinctive et personnelle. L’art n’a, en outre, rien de décoratif. » Et si l’achat d’une œuvre d’art est une chose, sa mise en situation en est une autre. « Il n’y a pas de règles en terme d’accrochage, poursuit Luis Laplace. Comme les collections, l’accrochage évolue toujours au cours d’une vie. Rien n’est définitif. Et, que l’on se trouve face à la mer, face à la montagne ou à la campagne, dans toute réalisation, le contexte dans lequel se trouve le lieu d’habitation est également capital… C’est la base à partir de laquelle on travaille ensuite les volumes, la lumière, les matières. » Au-delà de l’environnement, l’histoire du lieu occupe également une grande place dans les réalisations de l’architecte. Il puise ses principales sources d’inspiration dans les travaux d’Adolf Loos, dans le modernisme sud-américain et dans le mouvement brutaliste. Sa famille a également été une source d’inspiration et, notamment, son arrière-grand-mère maternelle, Ana Laplace, artiste et brodeuse, qui l’a initié à la beauté du travail fait main et à l’importance du cadre de vie dans lequel on évolue. Leçons illustrées notamment par les travaux et les expositions que cette dernière fit avec Estela Pereda dans les années 60 et 70. L’arrière-petit-fils se souvient encore de son aïeule le surveillant, assise sur un tabouret face à son métier à tisser. Et, surtout, de l’envers des tapisseries et des fils emmêlés qui offraient un spectacle aussi fascinant que l’endroit. Dans ce mélange de couleurs, dans ce flou général et ces formes imprécises, un dessin abstrait apparaissait, telle une peinture expressionniste.
Art contemporain et culte de l’éphémère
Après des études d’architecture à Buenos Aires, Luis Laplace quitte son Argentine natale pour New York où il rencontre Annabelle Selldorf, architecte de renommée internationale originaire de Cologne, qui l’engage dans son agence. Sept ans plus tard, il quitte le Nouveau Monde pour le Vieux Continent et atterrit sur l’île de Majorque où il restera deux ans afin de concrétiser un nouveau projet résidentiel mené de concert avec l’architecte américaine : une résidence privée abritant l’une des plus importantes collections d’art contemporain d’Europe. Point fort du chantier, une version de Maman, l’araignée géante en bronze de Louise Bourgeois, que l’architecte place au milieu du salon. Audace qui préfigurera la tonalité de ses réalisations futures, privées ou publiques, qui, pour la plupart, abritent des collections d’art contemporain uniques. Cette fascination pour Louise Bourgeois conduira ensuite l’Argentin à travailler sur une installation des œuvres de l’artiste, comme le fameux livre Ode à l’oubli pour lequel la plasticienne française a utilisé des matières anciennes, ses vêtements d’enfant, voués à disparaître. Dès lors, Luis Laplace portera un intérêt nouveau aux matériaux fragilisés par le passage du temps, comme les tapisseries d’Aubusson auxquelles il donne une seconde vie. Ce travail du textile, l’architecte va notamment le développer dès son arrivée à Paris, en 2004, en travaillant avec le tapissier Jean-Paul Phelippeau. La même année, il fonde son agence avec Christophe Comoy et, depuis, il réalise de nombreux chantiers privés et publics à Londres, New York, Gstaad, Zurich – où il a notamment agencé la galerie de mobilier scandinave Dansk Møbelkunst –, en Espagne et à Paris – pour la conception de l’appartement de la créatrice Cindy Sherman ou celui du galeriste Emmanuel Perrotin. Des lieux élégants et épurés mêlant design, art, cultures locales, artisanat et mobilier vintage. Ne sont pas non plus oubliées les antiquités du XXe siècle grâce à sa propre ligne de meubles, Laplace Bespoke, qui décline dans un design simple, chic et discret le bois, le marbre, le terrazzo, le verre, le cuir, le cuivre ou le laiton… Collection qu’il présente dans le showroom jouxtant l’agence située place Saint-Georges. Ses dernières grandes réalisations regroupent une maison posée sur un rocher à Ibiza, un chalet dominant le mont Blanc – pour lequel il a installé, au fond de la piscine, une vidéo de l’artiste suisse Pipilotti Rist –, une ferme datant du XVIIIe siècle en Angleterre, dans le Somerset, reconvertie en galerie d’art contemporain. Entouré d’un jardin paysagé dessiné par le Néerlandais Piet Oudolf, le domaine de Durslade, qui abrite la galerie Hauser & Wirth, comprend des espaces d’exposition, une résidence d’artistes, le restaurant Roth Bar & Grill et un parc de sculptures. Et, côté design, figure dans les collections Laplace Bespoke, le fauteuil Jean-Paul Phelippeau, réalisé avec le concours de la manufacture d’Aubusson Robert Four, afin de rendre hommage au tapissier disparu il y a un an.